Scheda

Data: 6 02 1562

Mittente: Este Ippolito II, d’

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Destinatario: Borromeo Carlo

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Trascrizione: […] [p. 48] J’attendois tousiours apres quelque resolution de nos differends et de nos contrastes, pour en pouvoir advertir Votre Seigneurie Illustrissime. Mais comme j’ay veu que la chose tiroit de longue, et qu’on n’en venoit point à la conclusion, je n’ay pas voulu tarder davantage à luy fair part, du moins des disputes qui se passent.
Dans les articles qu’on a proposez, l’on a commencé par les images, sur le sujet desquelles ont esté desia tenues six conferences, sans qu’on ait encore rien conclu. Car il s’est passé beaucoup de temps à traitter cette matiere de parte et d’autre, en opinant par forme de discours; la Reyne ayant voulu sçavoir les divers sentimens de tous: mais particulierement de ceux qui se piquoient par dessus les autres, et de science et d’esprit, par des raisonnemens que chacun d’eux faisoit à sa mode. Aussi à vray dire, il y a du costé des Catholiques plusieurs sçavans hommes, qui defendent puissamment nostre cause. Cependant il ne tient pas à nos adversaires, que par toute sorte d’artifices ils ne la battent en ruine. Les uns se declarent ouvertement contre les images, qu’ils s’efforcent d’abolir, et les autres, qui veulent passer pour neutres, leur font la guerre en secret. Ils voudroient [p. 49] bien, disent-ils, que l’Eglise en retint l’usage, pourveu qu’il ne choquast pont les consciences scrupuleuses; comme, par exemple, qu’on les ostast des autels, et que ce fut seulement pour memoire et par ornement qu’on les mit dans toutes les eglises. Le principal passage sur lequel ils se fondent est celuycy: Non facies tibi sculptile, et cetera. Sur le sujet duquel ils en alleguent quelques autres semblables. D’où ils concluent que Dieu a deffendu toute sorte de simulacres; que le commandement en est exprés, et qu’on n’y sçauroit contreuvenir sans l’offender. Tellement que sans démordre de leur opinion, ils s’en tiennent à la lettre, qu’ils soustiennent estre assez claire de soy, sans qu’il faille se mettre en peine de l’expliquer pour la faire entendre.
Ils adjoustent à cecy, qu’on ne sçauroit monstrer que durant les quatre cens premieres années apres la venue de nostre Seigneur Iesus-Christ, il y ait eu des images dans l’Eglise des Chrestiens; ou que s’il y en a eu quelques-unes, ç’a esté sans qu’on leur rendist aucune sorte de veneration; quelles sont condamnées par les conciles d’Eliberis et de Francfort; que le Synode de Nice ne les approuve point, et qu’au contraire il en rejette entierement l’usage comme illegitime. Ils s’appuyent en cecy (et c’est leur principale deffense) de l’authorité d’un petit livre de Charlemagne, qu’ils disent avoir esté imprimé depuis peu à Paris, ou il est parlé bien avant du Synode susdit, et de plusieurs choses directement opposées à l’adoration des images. Outre ces raisons, [p. 50] ils rapportent, en faveur de leur croyance, diverses authoritez des anciens docteurs, comme de Saint Cyprien, de Saint Ambroise, de Lactance, d’Origene et ainsi des autres. Mais par dessus tout, ils font grand estat de cette Epistre d’Epiphane à Iean Hierosolymitain, traduite par Saint Ierosme, où ils alleguent qu’il est fait mention expresse d’un voile où estoit l’image de Iesus-Christ, que ce docteur déchira, disant qu’il estoit deffendu par l’Escriture sainte d’user de telles images. Ils taschent pareillement de se prevaloir d’une autre Epistre de Saint Gregoire à Sirene, par laquelle il ne permet les images que pour rappeller à la memoire ce qu’elles representent, et non pas pour les adorer comme ils disent. Surquoy ils mettent encore en avant quantité d’absurditez et d’abus, causez à raison de plusieurs peintures et statues (c’est ainsi qu’ils les appellent) qui se voyent dans les Eglises, où elles ne servent qu’à desguiser la verité des choses réelles; et là dessus entr’autres exemples ils produisent les images de la Trinité, en trois Personnes, où Dieu, qui est incomprehensible, se voit neantmoins representé.
Mais les nostres ne s’oublient point à respondre comme il faut, à toutes ces objections. Premierement, par l’authorité de l’Eglise universelle à qui cet usage a tousiours esté permis par le Saint Esprit, et s’y est aussi tousiours maintenu iusques à present. A ce propos ils remarquent iudicieusement que les heretiques ont accoustumé de tout temps de prendre sujet d’extraire leurs heresies de quelque passage [p. 51] de la Sainte Escriture, quittant le sens Chatholique et universel, pour s’attacher au leur propre, tout à fait contraire au veritable.
En second lieu, par plusieurs autres passages exprés de la Bible, qui nous apprennent que Dieu n’a pas commandé seulement de faire des images, mais que par elles mesmes et par diverses figures, sous lesquelles il a voulu qu’on l’adorast, il s’est manifesté aux Patriarches et aux Prophetes.
Troisiémement, par l’explication des mesmes authoritez de l’Escriture, par eux produites; qui ne veulent pas dire qu’il soit deffendu de faire des images; mais bien de les adorer, comme on adore Dieu, à la façon des gentils, qui croyoient qu’il y eût quelque Divinité dans les idoles. Mais nous sommes bien esloignez de tels sentimens, en ce que tout l’honneur et toute la veneration que nous rendons aux images ne s’addressent qu’à ceux dont elles representent la memoire. Où il est à remarquer que par elles l’affection s’émeut en nous diversement envers Dieu, et diversement aussi envers les Saints.
Quant aux Docteurs que citent nos adversaires, les nostres respondent que la pluspart d’entr’eux n’entendent parler que des idoles, et qu’ainsi cela ne fait rien contre les images, et ne respond nullement au vray sens de l’escriture. Que si quelqu’un parle des images de Iesus-Christ, ce n’est pas pour aucune pensée qu’il ait qu’on n’en puisse bien user, ny que l’usage en estant bon, il contredise l’Escriture; mais pour monstrer seulement qu’il y peut avoir eu [p. 52] de l’abus en cela, et que cet abus peut aussi s’estre glissé en quelques lieux plus qu’en d’autres. A quoy se rapporte encore que ce qu’ils en disoient estoit en partie avant la definition du Concile universel, et du Saint-Siege Apostolique, à la censure duquel ils soumettoient tous leurs escrits, et toutes leurs opinions: de sorte que leurs dits ny leurs faits ne doivent point estre receus, comme s’ils avoient mesme force que la generale definition de l’Eglise.
Pour le regard d’Epiphane, ce fut par un excez de zele, et non pas de science certaine, qu’il rompit le voile dont nous avons parlé; comme encore Saint Gregoire reprit Sirene, Evesque de Marseille, pour avoir rempu les images dans son Evesché; d’où il s’ensuit qu’il auroit encore bien moins approuvé l’action d’Epiphane, qui déchira ce voile, non pas en son Diocese, mais en celuy de Ierusalem, mettant ainsi sa faucille en la moisson d’autruy: en quoy sans doute il se trompa fort, d’avoir creu que l’usage des images fût contre ce qui est porté dans l’Escriture; ce qui n’est point veritablement. Les nostres respondent encore, touchant le mesme Saint Gregoire, que la seule chose qu’il deffend c’est d’adorer les images, comme qui adoreroit Dieu; ce qu’il verifie lorsque parlant de soy-mesme, il confesse: Qu’il se prosternoit devant l’image du Sauveur, non pas pour l’adorer, mais celuy qu’elle representoit.
Pour refuter l’argument des 400 ans depuis la Nativité de nostre Seigneur, pendant lesquels, à ce qu’ils disent, il ne s’est point veu d’images dans les [p. 53] Eglises des Chrestiens, nos docteurs ont produit plusieurs exemples, tant de ceux qui vivoient en ce temps-là, que de ces autres qui vinrent depuis, tels que furent Martial, Tertullien, Lactance, Eusebe, Saint Athanase, Saint Basile, Saint Gregoire de Nice, Paulin, Prudentius, Damascene, Saint Gregoire le Grand, Nicephore et ainsi de leurs semblables, qui font tous foy de l’antiquité des images dans les Eglises, et pour instruire les hommes, et pour les induire à les reverer: outre qu’il est prouvé, mesme du consentement de ceux qui sont neutres, que la sainte Croix a esté de tout temps en singuliere veneration.
Voilà comme ils ont fait voir clairement la fausseté de ce qu’avoient dit nos adversaires, à sçavoir, qu’il ne s’estoit point parlé d’aucunes images durant les 400 premieres années. A quoy ils ont adjousté que si l’on n’en souffroit pont l’usage, c’estoit ou pource que les Tyrans ne souffroient non plus que l’on bastist des Eglises; ou possible encore cela se faisoit pour ne porter à l’idolatrie les personnes nouvellement converties: d’où il ne s’ensuivoit point neantmoins qu’on n’en pût depuis user legitimement.
La raison est dautant que plusieurs Coustumes, qui n’estoient point usitées dans l’Eglise primitive, ont esté receues en suite, et plusieurs abolies, ou reformées, selon que le temps, le lieux et les personnes ont semblé le requerir pour le mieux; ce qu’ils ont demonstré par divers exemples.
Quant aux deux Conciles, qu’ils ont dit avoir [p. 54] condamné les images, l’on a respondu qu’ils n’estoient point generaux, mais nationaux, et mesme que celuy de Francfort ne fut point approuvé par Adrien, qui tenoit alors le Siege.
Pour ce qui est du livre de Charlemagne, escrit contre le Concile de Nice, les opinions en ont esté differentes. Car les uns l’ont mis en doute, et les autres ont soustenu qu’il l’avoit escrit avant qu’il changeast d’avis touchant l’adoration des images, comme il fit depuis, par l’instruction du pape Adrien; mais qu’apres tout, de quelque façon que la chose se fust passée, ce livre là n’avoit point de force contre l’authorité de l’Eglise universelle. Ils adjoustent encore que, comme les Estats de ce Prince estoient grands, et luy tres-puissant, cela se fit hors de France, et que le Concile de Francfort s’estant conclu par une deffense de reverer les images, donnoit à connoistre qu’il falloit qu’auparavant il se fust corrigé de la premiere opinion.
Pour revenir maintenant à l’image de la Trinité, touchant la forme du Pere, nos gens la deffendent par ce passage de Daniel, qui appelle Dieu l’Ancien de Iours. Quant au Saint Esprit, ils disent qu’il nous a esté depeint depuis dans l’Evangile sous la figure d’une Colombe; que pour ce qui est du fils, estant comme il est vray homme, il faut qu’ils advouent qu’on le peut representer en forme humaine; qu’au reste, s’il y a quelques lieux, où par ignorance se commettent des abus touchant les images, il n’est rien si facile que d’y mettre ordre, en instruisant le [p. 55] peuple des vrays moyens qu’il faut tenir à les reverer.
Mais pour revenir à Charlemagne, puis qu’on est d’opinion que son Livre escrit sur cette matiere et divisé en quatre traittez se trouve dans la Librairie du Sacré Palais (comme l’affirme Augustin Stenchus, qui en fut iadis Bibliothequaire), il seroit fort à propos, ce me semble, de faire chercher ce vieux original, pour voir si ces six traittez sont les mesme que ceux de nos adversaires, ou differens du livre de Charlemagne, et s’ils n’ont pas esté supposez, ou falsifiez par les heretiques, comme ç’a tousiurs esté leur coustume.
L’on a produit pour conclusion et leu tout haut la lettre de Saint Gregoire à Secondin, dans la quelle, ainsi que nous l’avons remarqué cy-devant, il dit Qu’il se prosternoit devant l’image du Sauveur et que neantmoins il ne l’adoroit point comme Dieu. Surquoy l’on a fait instance qu’on eût à regler ce differend par cette lettre, et remonstré en suite que ce seroit le vray moyen de sauver la coustume universelle, observée dans l’Eglise, de s’agenouiller devant les images; ensemble ce commandement de Dieu, qui defend l’idolatrie; et pareillement ces deux autres lettres du mesme Saint Gregoire à Sirenus, où il est dit que Les images servent à instruire et non pas à les faire adorer; ce qui doit s’entendre de l’adoration qui est deue à Dieu, et non pas de la simple genuflexion, veu qu’en son autre lettre à Secondin, il tesmoigne luy-mesme qu’il se prosternoit devant elles, sans que toutesfois il les adorast de la façon qu’on adore Dieu. [p. 56] Comme donc ceux qui se disoient neutres voyoient bien qu’ils ne pouvoient honnestement nous refuser cette demande, aussi ne s’esloignoient-ils pas beaucoup de nous l’accorder. Mais les Ministres n’y vouloient point consentir en aucune sorte, s’obstinant tousiurs à soustenir qu’il falloit resoulument oster les images des Eglises, et qu’il n’y avoit point d’autre moyen que celuy-là d’empescher qu’on ne les adorast.
Apres ces contestations diverses, la Reine a ordonné que l’on mettroit par escrit, de part et d’autre, le moyen qui se pourroit tenir pour bien instruire le peuple en cette matiere, afin qu’il ne se glissast aucun abus dans la veneration des images. A quoy je m’asseure qu’on a desia satisfait en partie; et mesme il est vraysemblable que les memoires qu’on aura dressez là dessus seront envoyez a Sa Sainteté. Aussi auroit-on un advantage beaucoup plus grand d’attendre d’elle quelque temperament à cette affaire, qu’à se regler par le seul caprice qui ne feroit que mettre plus fort en confusion les choses de part deçà. Et dautant qu’il n’y a pont à se fier, que quand nous serions demeuré d’accord avec nos adversaires, touchant ce premier article, ils en voulussent faire de mesme des autres; j’ay obtenu de la Reine qu’on n’en viendra point à une conclusion entiere, qu’auparavant on n’ait veu quel sera leur procedé sur les articles suivans, et de quelle sorte ils se rendront traittables: ce qui leur ostera le moyen de s’enorgueillir et de s’emporter, comme ils pourroient faire, s’ils [p. 57] voyoient qu’il en fallust passer par leur sentiment.
Outre cecy, je me suis employé le mieux que j’ay pû, et m’efforce encore tous les iours, de donner à à connoistre à la Reine que tout le mal vient du costé de nos adversaires, qui, plus opiniastres que iamais, ne se soucient du tout point de calmer les troubles de ce Royaume. Car comme ils ne cherchent qu’à maintenir leurs opinions, pourveu qu’ils trouvent dequoy les appuyer, il leur est indifferent que l’Estat s’en aille en ruine. Ils l’ont ainsi tesmoigné n’aguere dans la chaleur de la dispute, où par un raisonnement bien estrange ils ont declaré la grande intelligence, et la conformité merveilleuse qu’ont leurs ministres en France, avec les Eglises d’Angleterre, d’Escosse, de Dannemark, de Svede et d’une bonne partie de Pologne et de l’Allemagne. Dequoy certes je n’ay pû cacher mon déplaisir à la Reine, et luy ay monstré que tant que ceux-cy seront ioints avec des gens qui font profession expresse d’estre ennemis du Saint-Siege, il ne faut pas esperer qu’ils puissent iamais estre bien unis dans ce Royaume, dont elle entend que l’union et l’obeïssance soient inseparables d’avecque l’Eglise.
C’est l’argument que j’ay fait à Sa Majesté, avec dessein, ou de les destacher de la Ligue des autres provinces; ou en cas qu’ils aiment mieux estre dans l’intelligence des estrangers que des François leurs compartiottes, de luy décourir plus manifestement leur malice, et leurs pernicieux desseins. Mais sur tout, qu’ils ne peuvent consentir à cecy qu’avec [p. 58] une extrême perfidie, n’avant aucun zele pour le bien de leur Patrie, et partant qu’ils en sont plus odieux et plus dignes d’estre chassez du Royaume, comme en effet, si cela n’arrive, j’espere du moins qu’ils ne se trouveront gueres bien de certe remonstrance à la Reine, dans l’esprit de laquelle il me semble qu’elle a desia fait quelque impression.
L’Edit qui se fit à la conclusion de la derniere assemblée n’a pas encore esté publié dans Paris; et bien qu’en quelques endroits il se trouve advantageux pour les Catholiques, si est-ce que le Parlement s’est roidy à l’encontre, pour l’avoir trouvé trop favorable aux Huguenots, en un article où il retranche les peines portées contr’eux, par l’edit precedent du mois de iuillet, et où mesme il semble qu’on leur permemette leurs conference secrettes.
La Reine a crû par cet edit, fait avec grande circonspection, et auquel ont travaillé plusieurs personnes fort signalées, d’avoir asseuré le Party des Catholiques, autant que la condition du temps l’a pû souffrir: elle a creu, dis-je, que par son moyen l’on entreroit en possession de soûmettre les Huguenots au pouvoir de la Iustice, et de les reduire à la restitution, soit des biens d’Eglise, soit des autres choses par eux usurpées sur les Catholique; comme en effet cette entreprise ne peut estre que grandement bonne, pourveu que l’execution en soit aussi facile. Et toutes-fois, les commencemens pour n’en estre pas mauvais luy donnent courage, et luy font mesme esperer que le succez qu’ils produiront en deviendra meilleur de ioir en iour.
[p. 59] L’on attend la venue de quelques-uns de leurs deputez, pour faire à Sa Majesté les demonstrations convenables à un tel sujet; on les escoutera parler. Que si l’on iuge qu’on se puisse prevaloir de leurs demandes, en quelque chose qui soit profitable aux Catholiques, ce sera tant mieux, et l’on n’en perdra pas l’occasion.
Je n’ay cessè depuy quelque temps d’escrire, iusque à ce iour, premier de Caresme, auquel s’est renouvellée la conference ordinaire, apres avoir discontinué quatre iours durant, tant à cause du Carnaval, que pour donner loisir à ces Theologiens d’en vacquer mieux à leurs escritures. Une atteinte que la goutte m’a donnée depuis deux iours a esté cause que je n’ay pû me trouver à l’assemblée, bien que la Reine m’en eût instamment requis.
Nous avons eu en suite plusieurs bons succez, dont je suis bien aise d’avertir Votre Seigneurie Illustrissime. Le premier est que la conference s’est finie incontinent apres la lecture des Cahiers, tant des ministres que des Catholiques, sans y avoir remarqué de part ny d’autre aucune correspondance. Alors la Reine, accompagnée du Roy de Navarre, ayant mandé les Reverendissimes de Bourbon et de Tournon, avec le Chancelier, trouva bon qu’ils fussent quelque temps à consulter tous ensemble: puis elle-mesme fit sçavoir son intention à la compagnie, par la bouche du chancelier, qui remonstra de sa part que Sa Majesté voyant les diverses opinions, et les differends continuels causez pour le sujet de la Reli[p. 60]gion dans le Royaume, dont elle avoit tousiours souhaitté la paix et l’union mutuelle, avoit d’abord trouvé bon qu’il se fit une conference qui fust composée de quelques docteurs de l’un et de l’autre party, pour se regler entr’eux par quelque moyen et mettre fin à leurs controverses; mais qu’ayant veu par le premier article touchant les images, qu’apres plusieurs doctes raisonnemens, ils n’avoient pû s’accorder sur ce mesme article le plus facile de tous, elle avoit iugé qu’ils s’accorderoient encore moins en tous les autres, qui estoient de plus grande importance: A raison de quoy, pour ne multiplier des disputes, dont on n’attendoit pour fruit que des contentions et des concurrences dangereuses, il luy avoit semblé bon de mettre fin à ces conferences, qu’elle exhortoit pour ce sujet les theologiens de Sorbonne à s’en retourner à Paris, pour y mettre par escrit tous ensemble leurs opinions, touchant les articles suivans; et les ministres à se retirer pareillement, pour faire le mesme, comme aussi les theologiens de l’illustrissime Legat. Outre qu’il seroit encore permis à tous les autres docteurs du Royaume d’escrire leurs sentimens et que chacun d’eux les pourroit donner au Roy, pour les envoyer à Notre Saint Pere: ou au sacré Concile, selon que Sa Majesté l’adviseroit pour le mieux.
Ainsi se termina l’Assemblée, avec l’applaudissement de tous les Catholiques, qui tesmoignerent d’estre bien aises de cette relosution. Parmy ceux qui se disoient neutres, il y en eut quatre qui voulurent encore donner leurs opinions par escrit, touchant les images. Mais on refusa de les recevoir. Toutesfois j’ay fait en sorte d’en avoir une copie, que j’envoyeray à [p. 61] Votre Seigneurie Illustrissime, et une autre des sentimens, tant des Catholiques, que de nos Adversaires; et de ces derniers je tascheray d’en faire un recueil, tel à peu prés que la memoire me le dictera.
Cette conclusion n’a pas esté plustost arrestée, qu’avec un plaisir incroyable; j’en ay appris la nouvelle par la bouche de la Reine; elle-mesme a eu cette bonté pour moy de me venir visiter avec le Roy de Navarre, quoy que ce iours-là elle se fut fortuitement blessée au genouil. Ils m’ont tous deux amplement communiqué l’affaire susdite, et les principales causes qui les avoient portez à cette resolution, où se trouvoient iointes plusieurs autres deliberations tres utiles: par où l’un et l’autre m’ont donné visiblement à connoistre que leur affection envers la religion Catholique est du tout inesbranlable. Mais la Reine en son particulier est si satisfaite des bonnes inclinations qu’a de ce costé le Roy de Navarre, qu’elle m’a dit en sa presence ces mesmes paroles: Que si desormais les affaires de la religion alloient mal, il n’y auroit point d’excuse pour elle, puis que pour les mettre au point où il falloit qu’elles fussent, elle avoit ce Prince si favorable et si plein de bonne volonté pour elle. D’où paroist evidemment ce que peut son assistance à regler tant de dif[fi]cultez et d’opinions differentes. Tellement qu’on ne doit pas s’estonner, si j’ay repeté si souvent, qu’il importoit grandement de s’acquerir ce prince; si j’ay dit que de luy principalement dependoit le bon succez de cette negociation; et si tous mes soins l’ont eu pour objet particulier dés le mo[p. 62]mement qu’on l’a commencée. Il faut donc bien louer Dieu, de ce que dans la disposition où sont les choses, il luy inspire de si bons mouvemes et s’il employe ainsi son authorité pour les faire reussir. Je puis dire à cette fois que je ne me suis nullement trompé dans le iugement que j’ay fait de ces conferences, bien qu’apparamment quelques-uns s’en puissent estre offendez. Mais apres tout, ce n’estoit pas une chose dont il fust si facile qu’on diroit bien, de vaincre les difficultez et les obstacles. Quoy qu’il en soit, je me resiouis infiniment de ce qu’on en voit la fin, que j’ay tousiours esperée, et mesme predite; elle se peut appeller bonne, puis qu’on y a beaucoup plus gaigné que perdu. Certainement, quand un mal de la nature de celui-cy est en sa plus grande force, il ne faut pas s’imaginer qu’il soit si facile à vaincre, que lors qu’il n’est qu’à son commencement. Il est necessaire de luy laisser passer un peu sa fougue, et de donner quelque chose à ses impetueuses saillies, apres lesquelles, sans violenter la nature, on y peut appliquer les remedes, que selon les regles de l’art, on iuge les plus convenables, et les plus propres. Il est indubitable qu’en cette derniere conference, nos raisons ont esté mieux deduites, et mieux entendues qu’aux precedentes assemblées, où plusieurs de l’autre party sollicitoient ardamment et parloient à toute heure, au lieu que ceux du nostre ne disoient mot. Or est-il qu’un raisonnement posé (si ceux qui l’escoutent ne sont tout à fait revesches à se laisser persuader) produit bien un autre effet qu’une [p. 63] harangue faite à la volée, et qui n’a que le flux des paroles. Car tant plus ont de babil les ennemis de la Verité, tant plus ils descouvrent les erreurs de leur doctrine, comme il a paru veritablement en ceux-cy, des disputes desquels, bien que pleines d’ostentation, nous n’avons pas laissé de recueillir un assez bon fruit.
La Reine et le Roy de Navarre m’ont dit de plus qu’ils ont resolu que les Gouverneurs des Provinces du Royaume s’en aillent en personne dans leurs Gouvernemens, afin que lors qu’on publiera cet edit, ils soient plus en estat d’interposer leur authorité, pour le faire observer. Car il s’est veu par espreuve, combien peu de conte on a tenu iusques icy des officiers subalternes, à cause de leur foiblesse; d’où sont advenus plusieurs dereglemens et d’estranges violences en la personne des Innocens. Mais si les gens de bien ont esté persecutez pour un temps, et les meschans soustenus, il commence d’y avoir du changement à cette heure, par une vicissitude qui est ordinaire aux choses du monde.
Quant à ma goutte que j’avois moy-mesme renouvellée pour m’estre peiné plus que de coustume, ou pour avoir negligé les remedes, n’ayant pas eu le temps de les prendre; ou possible encore à raison des incommoditez continuelles, qui me viennet d’une maniere de vivre plus laborieuse que je ne voudrois, elle ne me traitte plus si rigoureusement qu’à l’accoustumée, car grace à Dieu j’en trouve la douleur supportable et de beaucoup diminuée. Cela peut pro[p. 64]ceder de l’extréme contentement que je reçoy tous les iours de ces bons commencemens de nos affaires; ou bien de ce qu’il plaist à la bonté divine de me preserver en cette occasion, afin que j’en puisse plus utilement servir son Eglise. Que s’il y a de la peine, elle ne laisse pas de m’estre agreable; et d’ailleurs, je commence à connoistre que j’en seray bien tost delivré. Mais en cecy, et en autre chose, il est iuste que je me resigne entierement à la volonté de Dieu: lequel je prie de vouloir donner à Votre Seigneurie Illustrissime une longue et tres-heureuse vie. Je me reccommande humblement à ses bonnes graces, et souhaitte de tout mon coeur d’y estre conservé. Je suis,
de Votre Seigneurie Illustrissime,
le tres-humble serviteur,
Hyppolite, cardinal de Ferrare
De Saint-Germain, le 6 Fevrier 1562.

Collocazione: Negociations... (Paris 1658)

Bibliografia: C. Occhipinti, Il giardino delle Esperidi. Le tradizioni del mito e la storia di Villa d’Este a Tivoli, Roma 2009, pp. 116-117.